Quand tout à coup, le feu surgit… 

Nous vous avions parlé il y a quelques semaines de l’installation de compteurs sur le terrain pour stabiliser les conditions de vie des personnes déjà installées (réf. Billet 3). Mais un peu partout, les installations électriques sauvages continuent d’être pratiquées et certains appareils ménagers dans les caravanes sont défectueux : machine à laver, frigo… 

Mercredi 19 mars, vers 18h00, les trois caravanes de la famille de Costa (1) ont brûlé en 10 minutes à la suite d’un court-circuit : « Mes parents ont tout perdu, leurs papiers d’identité, leur téléphone… moi j’avais tout ce qui était important dans ma voiture… mais j’ai perdu mes vêtements, mes tennis… Je n’ai plus que ce vieux survêt ». Les pompiers alertés par les gardiens qui surveillent depuis la mi-janvier 24h/24 l’entrée du site, sont arrivés avant que ne se propagent trop rapidement les flammes : « On a évité le pire, j’avais entré 7 bouteilles de gaz dans la cabane… les pompiers ont réussi à éteindre le feu juste avant qu’il n’arrive jusque-là », raconte Costa. Le traumatisme du grand incendie qui avait ravagé une partie du terrain à l’été 2022 et au cours duquel quarante-deux habitations avaient été détruites par les flammes est encore dans toutes les mémoires. « On a eu très peur, et c’est tellement triste », confie Costa en regardant ses parents déblayer les derniers gravats calcinés dont ils espèrent pouvoir tirer une centaine d’euros en revendant le reste de ferraille. 

Quand il est arrivé avec ses parents en France en 2014, Costa1 avait 14 ans… La première occupation de son père c’était justement de récupérer et revendre de la ferraille. Ces activités de recyclage des métaux s’inscrivent dans une économie informelle du glanage et de la récupération qui est courante dans les bidonvilles roumains, comme l’a constaté l’anthropologue Martin Olivera2 dans son enquête sur les terrains de Seine Saint-Denis :

« Les familles roumaines vivant en squats ou bidonvilles ont non seulement inventé un mot pour désigner leur lieu d’habitation (le platz), mais également un terme afin de désigner l’objet grâce auquel elles assurent une partie de leur approvisionnement quotidien : la goubelle, fusion de gunoi (« ordures » en roumain) et poubelle. Ces innovations langagières témoignent du fait qu’elles ne vivaient pas en bidonville au pays, pas plus qu’elles n’y subsistaient grâce au travail de recyclage des ordures : ces deux réalités sont celles de la migration, dans un contexte d’accueil largement hostile. Si certains individus s’étaient par exemple essayés à la récupération de ferraille au pays (fiervech), la grande majorité des ferrailleurs rencontrés au fil des années sur les platz ont découvert cette activité en France, et s’y sont perfectionnés ».

Sur le bidonville de la prairie de Mauves, c’est surtout sur le dernier terrain que les carcasses de voiture étaient nombreuses. Mais depuis quelques semaines, la collectivité a mandaté une société pour commencer à les enlever pour « nettoyer » le terrain. D’une manière générale, la question des déchets revient de façon récurrente dans les discussions que les  gardiens essaient d’avoir avec les habitants au cours de leurs rondes quotidiennes : « on surveille pour éviter que les artisans du coin ne viennent faire des dépôts sauvages et ne déversent des produits pollués sur le terrain, mais il faut aussi continuellement rappeler aux gens du terrain qu’ils doivent déposer leurs ordures dans les deux bennes installées à l’entrée… Mais pour ceux qui habitent au bout, ça fait presque un kilomètre alors ils se contentent souvent de les déposer au bord de la route et ça s’accumule ».  

Ce jour-là, l’urgence pour Costa et sa famille c’est surtout de retrouver une nouvelle caravane. La négociation revient à Costa en sa qualité de fils aîné alors il a prévenu son employeur que ce jour-là il ne viendrait pas travailler : « J’ai eu au téléphone un gars de Saint-Julien de Concelles qui avait un plan pour une caravane à 500 euros, mais il vient de la remonter à 700 »… Depuis deux jours, la famille est hébergée chez les voisins ou la famille. Chrétien pratiquant, Costa remet son destin à Dieu. Même si en la manière les solidarités humaines ont déjà œuvré : dès le lendemain de l’incendie, une première caravane avait déjà été installée à côté des gravats … Costa me la présente comme un « don » de la famille de sa femme. 

De leur côté, les gardiens veillent surtout à ce que chaque caravane brûlée soit bien remplacée par une nouvelle, mais pas par une de plus… En partant du bidonville, nous les croisons reprenant leur tour de veille, attentifs au moindre changement dans l’organisation des caravanes sur le site.  

Le journal est composé de textes de Fred et de photos d’Armandine Penna.

  1. Le prénom a été modifié  ↩︎
  2. Martin Olivera, « Insupportables pollueurs ou recycleurs de génie ? Quelques réflexions sur les « Roms » et les paradoxes de l’urbanité libérale », Ethnologie française, XLV, 2015, 3, p. 499-509.  ↩︎