Night Swim est un film de Bryce McGuire sorti au cinéma début 2024. Il est produit par les figures dominant depuis plus d’une décennie l’horreur mainstream, James Wan et sa société Atomic Monster et Jason Blum et sa société Blumhouse.

Dans mes billets je ne fais pas de critique de film, je relève ce que les films de genre nous apprennent des mondes dans lesquels nous vivons. Et pour cela, je divulgâche TOUT. Lisez à vos risques et périls, vous avez été prévenu·es
J’ai passé un chouette moment à regarder Night Swim, dont les critiques presse et publics sont très mauvaises. Le film est souvent comparé aux Dents de la mer de Steven Spielberg sorti en 1975.
Alors tout d’abord comme aimait à le chanter la regrettée Sinead O’Connor Nothing Compares to les Dents de la mer. Ensuite, il s’agit d’un film de monstre. C’est bien visible dans cet extrait, l’eau dissimule le monstre comme le fait la forêt dans d’autres histoires. S’il y a un rapport entre les Dents de la mer et Night swing, c’est uniquement le fait que j’étais terrorisée même à la piscine après avoir vu le film de Spielberg. Et j’étais pas la seule j’en suis sûre.
Night Swim n’est pas un film de monstre c’est un film de hantise. Ce n’est pas la maison qui prend au piège les habitant·es indésirables après s’être jouée d’eux, c’est la piscine. La narration autour du pouvoir de vie et de mort de l’eau est bâclée mais l’idée que cet élément puissant de distinction sociale en dépit de son coût environnemental est intéressante et m’a bien plu.
Alors, installons nous confortablement et entrons dans le vif du sujet.


Tout au long du film trois classes sociales sont évoquées : les très aisés, le haut des classes moyennes et les classes populaires.
Les classes populaires sont suggérées par une remarque du protagoniste principal, Ray Waller (Wyatt Russel, fils de), le père de famille. Il évoque son enfance à envier ceux qu’il appellent les riches gosses de banlieue qui avaient des piscines. Ray Waller a fait une carrière plutôt réussie mais pas exceptionnelle dans le baseball professionnel avant qu’une sclérose en plaques ne mette fin à sa carrière. Un choc dont il ne s’est pas remis et qui a bousculer les rôles et les revenus dans la famille. Sa femme, Eve Waller (Kerry Condon) a repris une formation professionnelle et occupe un poste administratif dans un lycée huppé. Si elle s’inquiète pour la santé de son mari, elle est plutôt heureuse de ne plus avoir à déménager au fil des transferts de son mari et de changer sans cesse d’école leurs deux enfants, une fille et un garçon, Izzy Waller ( Amélie Hoeferle) et Elliot Waller ( Gavin Warren). La famille Waller connait donc un léger déclassement social tout en restant dans le haut des classes moyennes. Les classes les plus aisées sont représentées par la famille à qui a appartenu la maison. La mère a sciemment sacrifié sa fille à l’eau pour que son fils soit guéri et ait une riche carrière. Le fait que la petite fille tuée soit asiatique et qu’il y ait une scène dans laquelle un jouet d’Elliot s’emmêle un jouet dans ses cheveux a permis à certaines et certains spectateurs déçus de comparer le film à The Ring de Hideo Nakata, sorti en 1988.

Alors oui, c’est somme toute difficile de voir de longs cheveux noirs sur un fantôme féminin sans penser à l’esprit de Sadako, mais c’est un vieux puit en pierre, diantre, moi je vous parle d’un bassin artificiel d’agrément en béton.
La décision d’acheter la maison avec ledit bassin d’agrément est prise par le mari qui refuse le projet initial de louer une maison adaptée à l’évolution de sa maladie, cela lui rappelant trop l’hôpital. Cette importance accordée au statut social lié à la performance du corps traverse tout le film. L’ancien joueur professionnel retrouvant peu à peu ses capacités grâce à l’eau hantée et épatant l’équipe junior de baseball à qui il vient donner des conseils tout comme les parents d’élèves alors que son fils plutôt discret et chétif peine à s’inscrire dans la légende paternelle.
Paternelle ou patriarcale ? Mais telle est bien la palpitante question. Et là la narration déçoit. Si elle surfe sur le courant actuel d’écriture de personnages féminins plus combattifs, la mère dont le père était un marine nage très bien et la fille n’hésite pas à s’opposer physiquement à son père pour sauver son frère, la fin déçoit beaucoup. Le père de famille qui avait décidé en conscience de sacrifier son fils pour obtenir le pouvoir de guérison de l’eau et retrouver sa puissance physique en sus de sa puissance matérielle incarnée par sa grande maison blanche avec piscine, décide in fine de se sacrifier pour sa famille. L’ordre social est sauvé et les vaches sont bien gardées. Mention spéciale quand même aux survivant·es qui décident d’enterrer la piscine, plutôt que de vendre la maison et de laisser une nouvelle famille découvrir les joies de la nage en eau trouble.
J’ai vraiment aimé le traitement de la piscine, aussi bien comme symbole de réussite sociale que comme lieu de plaisir et de crainte pour les enfants. Côté statut social, la séquence de la pool party est bien réussie. On y voit des hommes jouer leur fiston sur les épaules à qui tombera en premier tandis que les filles s’éclaboussent et parlent de garçons et ça sent bon le soda trop sucré et la viande grillée.
Concernant la piscine, au départ c’est principalement un jeu clair / obscur peu inventif qui caractérise le danger par le découpage jour et nuit et la couleur transparente ou noire de l’eau. L’élément vraiment réussi du film ce sont les règles autour de la piscine, les interdits ou les peurs éprouvées par tout enfant qui a eu accès à une piscine privée ou municipale. Ne pas se baigner sans la surveillance d’un·e adulte. Rester où on a pied. Ne pas s’approcher du siphon au fond de la piscine. Ne pas mettre sa main dans les trappes d’évacuation d’eau. Ne pas s’approcher trop près du bord. Ne pas s’approcher de la piscine quand la bâche est mise. Le film est bon dans son appel à notre imaginaire de la piscine et dans les choix de prise de vue sous l’eau, la désorientation des profondeurs.
Last but very not least. Ce qui m’a vraiment plu dans ce film, ce sont les films auxquels il a été comparé pour être rabaissé. Je vous ai déjà parlé des Dents de la mer et de The ring. Mais le film a aussi été comparé à Shining réalisé par Stanley Kubrick en 1980.
Je suis assez déçue finalement que Swiming pool n’est pas aussi été comparé à Alien de Ridley Scott sorti en 1979. Après tout filmer l’eau et l’espace c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
Pierre Bourdieu, qui n’est pas le sociologue devant lequel je m’évanouis, ni celui avec lequel je jouerai au Ouija, mais qui a toute sa place ici a écrit un livre sur le processus de distinction culturelle. Il y a plein de mauvais films d’horreur, c’est pour ça qu’on les aime, mais j’en ai vu peu autant comparé à des figures avec lesquelles il est impossible de rivaliser. Dans son livre Pierre Bourdieu parle de nous comme des « classeurs classés par leurs classements ». Oui, il adorait faire ça, il prenait un mot et le répétait pour montrer le caractère mécanique et détermiste des faits sociaux, genre les structures structurantes. C’est un usage excluant de la langue, ça pousse à refermer ses livres, mais c’est vraiment pas con.
Ray Waller c’est un classeur classé par ses classements. Dés l’enfance, il a aspiré à une ascension sociale qu’il a accompli par le sport et qui lui a parmi d’acquérir les biens au top du classement, la grande Maison Blanche de deux étages avec piscine dans un quartier réputé près d’un lycée qui l’est tout autant. Mais il se retrouve classé, voire même déclassé par ses propres classements quand il devient incapable de pratiquer le sport qui lui a conféré son statut social. On le voit dans son garage entouré de reliques de sa gloire disparue, trophées, maillots, videos…
Et c’est loin d’être le seul classeur classé par ses classements qui traîne. Comparer Swiming pool aux Dents de la mer, à The Ring et à Shining… Bourdieu dirait que « l’intérêt pour l’aspect aperçu n’est jamais complètement indépendant de l’intérêt à l’apercevoir. » (La Distinction, sortie en 1979 comme Alien et qui n’y a pourtant à ma connaissance jamais été comparée). Autrement dit que l’écriture d’une critique de film consiste moins en la capacité à produire un jugement sur le film en lui-même, toutes choses égales par ailleurs, qu’à montrer sa capacité à connaître les oeuvres les plus valorisées et à se montrer capable d’en apercevoir les références, forcément ratées, dans un film qui n’en demandait pas tant.
Je ne pouvais pas finir sans déclarer mon amour aux piscines municipales, qui loin des quartiers huppés offrent un accès aux loisirs à toutes et tous dans un partage de l’eau qui devrait nous mettre à l’abri des sacrifices humains. Le travail ethnographique de la chercheuse en sciences sociales Cornelia Hummel permet de vivre une saison à la piscine municipale en textes, en images et en sons. Si vous n’aimez pas les petits films d’horreur sur la hantise qui font pas vraiment peur, il vous reste donc à lire des sciences sociales.