Ce tissu que j’ai délivré pour le patchwork est un morceau de pantalon de pyjama de ma meilleure amie, morte d’un cancer il y a plus d’un an. J’allais dire « c’est un vêtement si intime que je n’arrive pas à le porter », mais en réalité, je porte certains de ses pyjamas, ceux qui ne me rappellent pas ses derniers jours à l’hôpital. Je porte aussi le pull de son grand-père, sa jupe à paillettes dorées que je n’aurais jamais acheté moi-même, ses jeans bien taillés, ses manteaux – j’ai aussi récupéré dans ses placards mon manteau qu’elle m’avait emprunté d’ailleurs, ça l’aurait fait rire.
 

J’adore porter ses affaires. Au début, je les portais comme des totems, comme des preuves d’amour, comme un relais de vie, et puis au fil du temps elles ont commencé à faire partie de mon quotidien.  C’est ma garde robe. Ceux qui la connaissaient bien remarquent et ça nous relie. Parfois, sa mère me dit « Ah mais je le connais ce pull, c’était à moi ! ». Parfois, quand je vois son mari, je ne mets pas tel vêtement, je ne sais pas quels souvenirs cela peut lui faire remonter. C’est idiot, parce que c’est justement lui qui a insisté pour qu’on les porte, avec notre bande de copines. Je me souviens l’entendre dire « ça ne sert à rien si c’est pour que ça reste au placard ». 
 

À la cérémonie de mise en terre, j’ai lu plusieurs textes dont l’un de Vinciane Despret dans « Vivre avec nos morts ». Elle cite une des personnes endeuillées qu’elle a interrogée et qui évoque l’idée d’un deuil actif où l’on enfilerait, par exemple, les chaussures de celui ou de celle qui est mort pour gravir des montagnes qu’il ou elle n’aurait pas eu le temps de gravir. Alors Raphaëlle chaussait du 36 donc pas moyen que j’enfile ses chaussures, mais ses jupes virevoltent. Pour finir sur le tissu, il y a donc les vêtements qui disent la vie et ceux qui disent la mort. Ce tissu de pyjama, pourtant très beau, sur lequel se dessinent des nuages gris, ne me disait rien, impossible de le porter, et pourtant je l’ai pris. Je ne savais pas quoi en faire, voilà qu’il trouve sa place dans cet beau projet de patchwork.