
L’heure du Monde est un podcast du journal Le Monde. Tous les matins de la semaine, Jean-Guillaume Santi, reçoit des journalistes pour éclairer un sujet traité par le journal.
Les épisodes consacrés à l’enquête du photographe inconnu de l’occupation peuvent être écoutés ici et sur toutes les principales plateformes de podcast.
Billet d’Elvire Bornand
Durant l’été 2024, avec mon amie Sandrine, palpitée comme moi par les récits d’enquêtes, nous avons suivi deux séries du Monde, celle sur Suzanne, une vieille dame victime d’un empoisonneur, et celle sur le photographe inconnu de l’occupation.
En 2020, la documentariste Stéphanie Colaux, trouve dans une brocante un album composé de photographies légendées prises entre 1940 et 1942 à Paris, alors occupée par le régime allemand nazi. « Vraiment j’ai un enthousiasme immédiat, j’ai aucun doute sur la valeur historique de l’album. C’est Paris comme on ne l’a jamais vu » se souvient Stéphanie Collaux pour L’heure du Monde (épisode 1/5). Elle se tourne vers le journaliste Philippe Broussard avec lequel elle a déjà collaboré, car dit-elle il faut un journaliste pugnace qui se donne corps et âme à l’enquête. ‘J’aime les petites histoires qui racontent la grande comme on dit, c’est-à-dire partir en quête d’une vérité, de personnages, d’autant plus si les personnages sont anonymes, sont des héros oubliés d’une certaine manière. » (épisode 1/5).
L’intérêt historique du fonds photographique est vite confirmé par les historiens. « Les historiens que je sollicite, notamment les spécialistes de la photo, me disent que c’est assez unique, c’est assez extraordinaire d’être si près des allemands. » (P. Broussard, épisode 1/5). Mais qui a pu se tenir si près, justement, et osé prendre ce risque, mettre sa vie en danger, pour prendre ces clichés ?
Je me souviens de mon écoute des articles le matin de leur parution en promenant les chiens le long de la Loire. Cet été-là, je travaillais à la conception d’un protocole sur le déni de la mort et je consignais tous les moments où la mort s’invitait dans mon quotidien en prenant deux clichés, celui du médium qui créant ce surgissement et celui de l’endroit où je me trouvais à ce moment-là.


J’ai pris mes photos en découvrant le cinquième et avant-dernier article de la série. Il commence par ces mots » Autant le dire d’emblée : son nom est Minot, Raoul Minot, et pareil destin mérite la lumière. « . C’est un acte important, qui dépasse le travail journalistique, de rendre son identité à un mort. D’ailleurs je pense que pour moi, comme pour de nombreux lecteurs et lectrices, ce récit a cessé à un moment d’être une enquête et est devenu une quête pour rendre à Raoul Minot la place qui lui est due dans notre mémoire collective et à travers lui celle que nous devons à celles et ceux, résistants ordinaires, dont nous n’avons pas encore retrouvé la trace.
Raoul Minot, soldat durant la première guerre mondial, photographe amateur talentueux, est dénoncé par une lettre anonyme adressée à la préfecture de police de Paris à l’automne 1942, qui après une première enquête transfert le dossier à la gestapo. Il est incarcéré puis déporté à Mathausen puis Buchenwald. Il meurt suite à l’une des marches de la mort durant lesquelles les nazis déplacent les déportés pour échapper à l’avancée des alliés. « Quand les Américains interviennent, le 23 avril, il est trop tard pour Raoul Minot. Les rares documents disponibles datent son décès du 28 avril 1945, dans la ville bavaroise de Cham. A priori, il serait mort à l’hôpital local, en homme libre, mais malade et brisé.« . Son acte résistant ne sera pas reconnu à la libération malgré les efforts de sa veuve, Marthe, mère isolée, caissière au magasin Le Printemps. « Aucune activité résistante n’est relevée au bénéfice de l’intéressé à la suite de l’étude du dossier le concernant. » indique l’administration française. » Cette sécheresse là, absolue, si le fait de prendre 700 photos dans les rues de Paris alors que les nazis occupent la capitale ce n’est pas une activité anti-allemande, je ne sais pas ce que c’est ! » réagit Philippe Broussard dans le cinquième et dernier épisode du podcast. La famille décidera malgré tout d’inscrire sur le tombeau dans lequel il ne repose pas, son corps n’ayant pas été retrouvé, « Mort pour la France en Allemagne.«
C’est mû par ce besoin collectif de sens, d’honneur et d’hommage que ce récit ne cesse de proliférer. Un premier épisode lui est consacré en 2024 dans le podcast Récits d’enquête de Mattéo Caranta sur France Culture. En 2025, il devient un livre publié aux éditions du Seuil et une série de 5 épisodes dans le podcast L’heure du Monde.
Mon conseil, c’est de commencer par lire l’enquête publiée à l’été 2024 avant d’écouter le podcast puis bien sûr de lire le livre car chaque narration enrichie la précédente. Cette historie est épaisse, elle a besoin de toutes ces couches pour être appréciée aussi bien dans son contenu que dans sa méthode.
Ce que j’ai aimé dans cette écoute c’est entendre les protagonistes dont j’avais lu la participation à l’enquête, de me plonger un peu plus profondément dans le récit par leurs voix. Avant tout, mettre une voix sur le nom de Philippe Broussard dont j’admire profondément le travail mais tout de suite après entendre toutes ces autres voix qui ont contribué à l’enquête dans ses avancées comme dans ses voies sans issues. Parce que Philippe Broussard a fait oeuvre de liens, comme tout journaliste certes, mais en poussant la mobilisation de ces réseaux jusqu’à leurs derniers retranchements. C’est ce qui fait toujours redémarrer l’enquête alors qu’en 4 ans les occasions de désespérer et laisser tomber n’ont pas manqué. Et je trouve ça très beau que l’enquête soit relancée à plusieurs reprises grâce à l’implication de personnes, aux métiers peu connus mais au combien importants pour la mémoire populaire, qui oeuvrent au quotidien pour créer des archives, les gérer et les fouiller.
La photographie qui manquait, celle du photographe, est retrouvée dans le dossier de demande de recherche de déporté déposé par Marthe Minot contient une photo. « Je me souviendrais toujours de ce moment (…) où je découvre le visage de Raoul. » (épisode 5).
Raoul Minot est désormais reconnu officiellement mort pour la France.
L’enquête, diffusée du 27 au 31 octobre 2025, est à écouter ici et sur les principales plateformes de podcast.

