Le mariage de Tatiana

En ce samedi de janvier glacial, on se retrouve avec Armandine pour assister au mariage de Tatiana. De la manière dont va se passer le mariage nous n’en savons rien en arrivant. Nous n’avons même pas vraiment compris à quelle heure doit se dérouler la cérémonie. La consigne de Roméo est restée vague : « venez entre 10h00 et 14h00 ». Alors, en coupant la poire en deux, nous avions convenu de nous retrouver à 12h00 devant la déchetterie. Nous remontons l’allée boueuse et arrivons au « terrain du fond » et frappons à la caravane de Roméo : c’est sa femme, Jennica qui nous ouvre et nous invite à nous assoir pendant que les femmes s’affairent aux derniers préparatifs de la cérémonie : remplir les assiettes de nourriture – charcuterie et fromage -, couper la brioche et les fruits (ananas, pommes, etc.). 

La sociologue Cécile Véniat a très bien décrit l’expérience d’habiter des bidonvilles.

Si leur expérience de l’habiter s’inscrit dans un lieu d’habitation perçu comme atypique et informel, les relations et les pratiques qui y prennent place au quotidien peuvent être observées comme des activités ordinaires comparables à celles d’autres familles vivant en habitat plus classique 

Véniat Céline (2018), « Se faire un platz dans la ville : décrire les pratiques d’appropriation de familles roumaines vivant en bidonville », Espaces et sociétés, n° 172-173(1), 127-142.

Le « chez-soi » est ici structuré autour de deux caravanes placées côte à côte. L’auvent en bois offre une partie couverte et protégée qui est joliment décorée : tentures violettes au mur, table basse et canapé de récup’, miroir et cadre accrochés, poêle à bois disposé dans un coin… La propreté de l’endroit – il est d’ailleurs de coutume d’enlever ses chaussures à l’entrée – contraste avec le dehors. Cette séparation stricte entre d‘un côté un espace habité et chaleureux et de l’autre un espace extérieur boueux et pollué est marqué par une simple porte qui ne ferme pas à clé mais qui souligne pourtant la propriété. 

Une jeune femme partage un moment avec un enfant assis sur ses genoux.

De la caravane sort fièrement Roméo costumé et cravaté. La famille de la mariée est déjà quasi au complet : des cousins, des frères, des sœurs, la grand-mère, des nièces… « Toute notre famille vient de Burila Mica en Roumanie, la famille du mari, elle,vient d’un village situé à une vingtaine de kilomètres », nous explique Jennica. Alors que les derniers préparatifs s’organisent, elle s’assoit avec nous à l’écart, « pour mieux cacher son chagrin », nous avoue-t-elle. Elle essuie quelques larmes qui coulent sur sa joue et son plus jeune fils, Moïse, s’accroche à son cou. Cela lui fait du bien de nous parler de sa fille Tatiana : de son jeune âge : «Elle a 17 ans… C’est elle et Léo, son mari qui voulaient se marier, moi je trouve que ça fait trop tôt » ; mais aussi de son espoir que Tatiana continue le service civique qu’elle a débuté en octobre au sein du projet TineSol 1porté par les Céméa  : « Chez nous, la tradition veut que la femme arrête de travailler quand elle se marie, mais Léo a promis qu’elle pourrait continuer ». En revanche, une chose est certaine, Tatiana ira dès lendemain vivre dans la caravane de sa belle-famille installée sur un autre terrain du bidonville de Mauves. 

Dehors une très grande table en longueur est installée. Il y a dessus de très nombreuses victuailles et des boissons. Les bidonvilles et bidonvilloises sont réunis tout autour

Pour Jennica, le plus important est surtout que le mariage se déroule selon le rituel chrétien et que le couple soit béni par le pasteur du terrain, le pasteur Oliver, un Congolais qui officie tous les jeudis dans l’Église située au centre du bidonville. « Chaque ville à son Église, ici c’est celle de Burila, ailleurs, il y a celle de Gruia ou de Vanju Mare 2 », précise Jennica. Pour la première fois en l’écoutant, je me rends compte à quel point la vie d’ici est structurée par des repères de la vie de là-bas. Les parcours migratoires de ces bidonvillois nantais ne s’arrêtent à un point d’arrivée, ils continuent de tracer des courbes et des détours. 

L'officier religieux bénit le couple qui se tienne tégèrement inclinés, leurs fronts se touchant. La scène se passe en extérieur. L'homme est en costume sombre, la femme a une robe rouge flamboyante
La jeune mariée tourne le dos à l'objectif, elle étreint des proches rassemblés autour d'elle
La mere et la fille s'étreignent, elles sont entourées d leurs proches

Vers 14h00, la famille du mari arrive enfin à grands renforts de klaxon pour apporter la robe rouge dont la jeune Tatiana doit se revêtir. Si la tradition veut que la jeune fille vienne présenter à sa mère le drap tâché, symbole de sa virginité, le lendemain de la nuit de noces, Jennica nous assure qu’elle ne demandera pas à sa fille de le faire car elle « trouve ça trop intime ». A l’arrivée de la belle-famille, les premiers chants chrétiens retentissent et font rapidement saturer l’enceinte. Quant au futur mari, il semble bien timide et ému, portant à bout de bras son bouquet de roses rouges et arborant un billet de 50 euros accroché à la boutonnière. Après plusieurs chants, le pasteur Oliver bénit les jeunes mariés devant la caravane et sous le regard d’une centaine d’habitants du bidonville. Les portables sont de sortie et les applaudissements se font joyeux. 

Unhomme regarde l'objectif d l'appareil photo, il se trouve près des brasero à même le sol qui permettent de cuire des porcelets.

Après un premier temps partagé autour du buffet, le cortège de voitures et de klaxons remontent l’allée pour accompagner les mariés jusqu’à l’église pour que la fête se poursuive toute l’après-midi. Et comme dans n’importe quel mariage, les enfants essaient de percer des ballons de baudruche, les jeunes regardent leur portable luttant contre un léger ennui, les femmes dressent les tables et les hommes surveillent les braises pour le cochon qui tourne sur sa broche… Autant de relations de sociabilité très ordinaires qui se déploient dans un décor qui ne l’est pas.  

Le couple pose entouré de ballons rouges, dorés et blancs

Le journal est composé de textes de Fred et de photos d’Armandine Penna.

  1. Le projet TineSol ( « TineriSolidar » = « jeunes solidaires » ) a pour objectif de soutenir les personnes vivant sur les bidonvilles et les associations de solidarité locales.
    ↩︎
  2. D’autres villages dont sont originaires les habitants des bidonvilles nantais ↩︎