

J’ai toujours été attentive à la mort. Petite, elle m’obsédait. Devenue grande, j’ai toujours saisi les opportunités de travailler sur le sujet.
Dans cette chronique, je cherche à documenter la manière dont la mort vient à moi, c’est-à-dire toutes les occasions dans lesquelles je me trouve confrontée à un sujet lié à la mort sans que je sois aller activement chercher des informations dans un but professionnel.
Depuis plusieurs mois, j’ai dans ma liste de podcast Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. Je l’ai découvert sur une suggestion de mon lecteur de podcast. J’ai lu la présentation.
Clémentine, journaliste à franceinfo, s’est battue contre un cancer avant de mourir à 31 ans, le 23 décembre 2023. En juin dernier, elle avait accepté d’ouvrir son journal et de revenir sur les traitements, les espoirs, les déceptions, l’aide des proches, la peur de la mort.
Présentation du podcast sur le site du diffuseur France Info.
Je me suis dit : « Ça faut que je l’écoute » et je me suis abonnée au podcast immédiatement.
Ma seconde pensée a été : « En fait je vais jamais l’écouter. » En quelques mots de présentation du projet, je ne sais pas bien ni comment, ni pourquoi, j’ai senti une forte empathie et beaucoup d’émotions pour le témoignage de Clémentine. J’ai su qu’il allait profondément me toucher et m’éprouver et donc j’ai fait la sourde oreille.
Pendant tout l’été ce podcast et moi avons joué au chat et à la souris. Mon lecteur me propose en permanence l’écoute des téléchargements les plus récents. Au moins une fois par semaine le premier épisode du journal de Clémentine, le récit de l’annonce du cancer revenait en tête de ma liste de lecture et dés qu’il se lançait j’arrêtais la lecture et je passais à autre chose.
Je me suis mise à avoir peur de cette écoute et c’est le critère qui me permet de dire que même si j’ai sélectionné ce podcast dans un but professionnel, son écoute, en fait sa non-écoute est profondément intime.
Ce soir je promenais les chiens en écoutant un truc fun sur le syndrome post-traumatique des militaires français. Lorsque l’épisode s’est conclu, j’avais les deux chiens en laisse et je négociais avec eux le fait qu’ils n’allaient pas se baigner.

La lecture du Journal de Clémentine s’est lancée. Je n’avais pas moyen de récupérer mon portable dans le sac sans lâcher les chiens.
J’ai abdiqué.
J’ai écouté.
J’ai marché lentement.
Pour que l’épisode se termine avant de rentrer à la maison.
Pour laisser cette écoute au bord de l’eau.
Témoigner de ce que l’on ressent à l’annonce du fait qu’on peut mourir. Témoigner du moment où la vie change de forme. Cette expression de la philosophe Claire Marin que je rappelle tout le temps de « vie défigurée ».
Cela m’a ramené à la toute fin de l’année 2020, j’étais sur mon canapé, je lisais mon fil Twitter et j’ai lu une personne pour laquelle j’ai beaucoup d’admiration et d’intérêt, Xanax La Guerrière, déclarant qu’elle avait trouvé une masse dans son sein. Elle a écrit de manière continue sur relation à la maladie.
Si je ne voulais pas écouter Clémentine, c’était à cause de Xanax La Guerrière. Il y a dans leur façon de témoigner un intérêt commun pour les détails qui exposent leur vulnérabilité tout en nous faisant nous reconnaitre en elles.
Lorsqu’elle parle de la première annonce « d’une masse empathique » découverte par un scanner, Clémentine dit qu’en sortant du rendez-vous, elle s’est dit que ça ne pouvait pas lui arriver, qu’on était en juillet, que ses parents étaient loin, « que je suis là en petite robe. »
Le sentiment d’incongruité est au coeur de notre relation à la mort.
Un samedi d’hiver ma mère m’a appris la mort de ma grand-mère en me disant : « Tu dois aller te changer, tu ne peux pas garder ton pull rouge aujourd’hui, ta grand-mère est morte« . Je ne l’ai plus jamais porté.