Faire Platz nette

au premier plan il y a une palissade en toile affaissée et des bouts de bois posés dessus. Au second plan on voit plusieurs caravanes regroupées dont certaines sont collées les unes aux autres.

Le terme de « Platz » est une transposition phonétique du mot roumain plaţ qui désigne à la fois un lieu de vie, un lieu dans lequel on peut construire une maison, et aussi une place ou une cour1. C’est le mot utilisé par les familles Rom pour désigner leur lieu de vie au sein de ces campements qui se sont déployés ces dernières décennies aux marges des grandes métropoles. Dans les mots de la politique publique, on désigne ces habitats précaires par le terme de « bidonvilles » – après les avoir longtemps qualifiés de « campements illicites » – avec, depuis 2018, la mise en œuvre d’un vaste plan qui vise à leur résorption, en encourageant les sorties des familles vers des logements pérennes. 

C’est dans ce cadre, qu’au début de l’année 2024, la Ville de Nantes a annoncé la disparition programmée du bidonville dit de la « Prairie de Mauve » pour récupérer une réserve foncière stratégique dans cette partie de la ville qui se développe et y installer un Pôle d’écologie urbaine. 

D’un point de vue géographique, le terrain est situé à la lisière des espaces urbains habités, coincé entre la déchetterie et le périphérique. D’un point de vue symbolique, il est relégué, invisibilisé, encadré désormais par de longues palissades taguées. 

La photo est prise depuis une voiture sur le périphérique. le long d cela voie s'étale une grande palissade blanche en toile ondulée recouverte de nombreux tags colorés.

On lit ici et là, que ce serait le plus grand bidonville de France. Même si personne ne s’accorde vraiment sur les chiffres. Si la DIHAL (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) comptait officiellement 661 personnes en février 2024 (https://resorption-bidonvilles.beta.gouv.fr/), ils seraient sans doute plutôt entre 900 et 1000 personnes à vivre sur ce vaste terrain pollué dans des caravanes et des cabanes en bois. Ce sont des ressortissants Roumains, en grande majorité Rom, qui proviennent de 5 villages – Gruia, Burila Mică, Punghina, Danceu, Vanju Mare Burila, dans le judet de Mehedinți (dans le sud-ouest du pays, à la frontière avec la Bulgarie et la Serbie).  Le site s’est progressivement étendu au gré des expulsions successives des autres terrains illégaux. Les habitations en « hameaux » se déploient tout au long d’une allée centrale boueuse et défoncée. 

Pour rendre compte de ce processus titanesque de démantèlement qui devrait s’étaler sur quatre ans, nous avons décidé de suivre quelques familles dans leur quotidien, pour rendre compte de leurs aspirations et de leurs frustrations, mais aussi de la manière dont elles bricolent les conditions d’une vie à soi. L’écriture de cette chronique suit le rythme des jours qui s’égrènent à bas bruit. Car si le temps des projets est piloté par les décisions politiques et budgétaires ; le temps de la vie, lui, suit le rythme des saisons.  

Au premier plan un sol caillouteux avec des flaques. Au second plan des caravanes et cabanes. En arrière plan un hangar de la déchèterie et une grande cheminée d'incinération des déchets.

Ce journal est le compte-rendu au fil de l’eau de l’enquête ethnographique en photos et en textes que mène Pan 9 en collaboration avec la photographe Armandine Penna depuis l’été 2024.  

  1. Céline Véniat, (2018), « Se faire un platz dans la ville : décrire les pratiques d’appropriation de familles roumaines vivant en bidonville », Espaces et sociétés, n° 172-173(1), 127-142. ↩︎